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24 décembre 2009 4 24 /12 /décembre /2009 12:33

Avec sa démarche de plantigrade mal léché, et son regard terrifiant, aussi vide que ton morlingue après la troisième tournée, Maurice Boulache avait de quoi faire pâlir le plus pâlot des albinos. Pas diplomate pour un sou, son truc, c’était la castagne, la peignée, le grabuge de tous genres. Et faut dire que son physique était pas la pour contrarier ses plans. A vue d’œil, 2m13. A vue de nez, 129kg. Et à vue de près, c’était quand même un peu impressionnant. Mais ce qui frappe avant tout, c’est son faciès affreusement mal proportionné. Maurice Boulache, c’est un peu à la frontière entre le brouillon raté d’un personnage de BD et un projet abandonné de  marionnette. De loin, faut juste s’imaginer  la tête d’un lego sur le corps d’un playmobil. Sur le papier, c’est marrant. En vrai, c’est juste  fascinant. Quand tu croises Maurice dans la rue, t’as qu’une envie, c’est de t’arrêter, et de le contempler.

Mais tu le fais pas.

Parce que t’as déjà entendu l’histoire de François Chouflard. François, c’est celui qui avait perdu un pari, et avait eu pour gage de traiter Maurice de « sombre fiotte ». Et forcément, même en y mettant le sourire, Maurice l’avait pris homo. François a bien retenu la leçon. Elle est restée gravée dans sa mémoire, aussi profondément que les phalanges de Maurice dans son cortex. Ce jour la, François avait perdu la vie, mais pas son pari. Un mal pour un bien, en somme. Tout ça pour dire que Maurice avait d’une main, les moyens de t’envoyer dans un tunnel aussi noir que t’aies même pas envie d’aller voir ce qui produit cette lumière, au bout du tunnel.

En psychiatrie, le médecin avait dit à Maurice qu’il souffrait d’un trouble compulsif obsessionnel névrotique d’inextinguible hyper-brutalité comportementale, ou  ‘syndrome du bourrin’.  Maurice avait pas tout saisi à part l’histoire d’hyper-brutalité. Et puis de toute façon, le médecin en question était plus dans l’état de le répéter désormais.

Bref, si vous n’avez pas encore compris, Maurice, c’est pas le genre perfectionniste. Pas le genre méticuleux de la gestuelle. Quand nous autres avons tendance à prendre le chemin le plus habile pour convaincre de nos idées, Maurice lui, prenait juste le chemin le plus court. A savoir celui qui lui évitait de parler. Ainsi, l’expression « Fussiez vous assez aimable pour me daigner répéter la formule précédemment citée ? » prenait une forme bien plus concrète dans son langage. Une forme qui, tendue et contractée, et en partant de l’épaule, t’arrivait si rapidement au regard que le temps manquait pour lire l’inscription sur la gourmette.

Judiciairement parlant, Maurice c’était pas non plus le Pérou. On a fait mieux en matière de casier. Beaucoup de bagarres, quelques règlements de comptes, et un viol à main armée. Mais pas foison de passionnant. Manque cruel d’imagination, vraisemblablement. Pas d’inceste, ni de zoophilie. Un rien ennuyant, non ? Pas de quoi casser trois pattes à un canard. Ni de quoi caser trois pages dans un canard. A noter simplement une prise d’otage de 113 jours avec actes de barbaries répétés sur la personne d’un prestidigitateur, mort lors du deuxième jour de retenue. Maurice voulait à tout prix savoir ou était passée la carte qu’avait fait disparaitre le magicien. En vain.

Oui, mais voila.

Tout ça c’était Maurice avant le 26 novembre 2008. Avant le fameux jeudi noir comme on dit dans le coin. A cette époque, Maurice était en liberté conditionnelle. C'est-à-dire qu’il était libre. Mais à condition de ne tuer personne. Et malgré ces contraintes souvent pesantes, Maurice essayait de reprendre goût à la vie. D’autant qu’il pouvait bien se permettre un petit viol, puisque son pays condamnait sévèrement la récidive, sauf pour la première, quand même. Mais c’est dans les jeux qu’il trouva le salut.  Mais pas n’importe lesquels. Les jeux massivement multi-joueurs. Ceux situés entre les colossalement plusieurs-joueurs et les énormément pas-mal-de-joueurs. Il en était devenu accroc. A tel point qu’il n’en sortait plus de chez lui. De jour comme de nuit, c’était son ordinateur, sa souris, et lui. Bien que pour lui, on en était plus vraiment sûr. Malgré tout Maurice se voulait loin d’être ce qu’on raconte parfois sur les véritables no-life. Pour preuve, Il avait même pris une douche la première semaine de novembre. Ou celle d’avant peut être. Enfin y’a moins de deux mois c’est sûr. Quoique en y réfléchissant bien… Enfin bref, le débat n’est pas là. Lui, ça n’avait rien à voir avec tous ces accrocs, et puis basta. Allez hop, Paragraphe suivant.

Le truc, c’est qu’il commençait quand même vraiment à être pris dans le jeu, d’autant que ça se passait pas trop mal pour lui…Pas trop mal jusqu’au jeudi 26 novembre 2008.

Alors qu’il entamait, assez serein, sa 132e heure consécutive devant son écran, le voila pris dans une embuscade. De celles qu’on craint que dans les jeux, parce qu’en vrai, Maurice, il en aurait fait qu’une bouchée du petit merdeux qui venait lui chercher des bricoles. Mais c’est que ça commençait à lui démanger les naseaux cette histoire, parce qu’impossible de se débarrasser de lui. « Père Joufflu », c’était le surnom de son adversaire, avait lancé les débats depuis maintenant 2 heures et 23 minutes.  Le combat était assez équilibré, lorsque Maurice se décida à rejoindre les toilettes pour assouvir un besoin pleinement naturel. Il fit donc lever le pouce à son personnage, signe international de reconnaissance d’un cessez-le-feu immédiat. Puis quitta la pièce.

3 minutes pour retrouver le chemin des gogues, 6 pour effectuer le travail, 5 pour se souvenir que c’est de la chasse d’eau dont il fallait se servir ensuite, et le voila revenu devant son écran.  Il posa une fesse, puis l’autre. Son œil gauche se posa sur l’écran à 13h42. Il comprit ce qu’il se passait à 13h47. De grosses gouttes de sueur coulaient maintenant sur son front. Il était livide.  Comme pris d’une vague d’ivresse qui fit vaciller ce vaillant valeureux vainqueur. Père Joufflu était passé outre les règles. Les codes. Les lois. Ses lois. Il avait profité de son absence pour l’abattre. Alors que pourtant, Maurice avait dit pouce. C’en était fini maintenant. Tout était éteint et s’entêter à tout tenter serait totalement têtu. Maurice se figea.

Et les jours passèrent. Autant vous dire que le Maurice, valait mieux pas lui dire un mot de trop. Valait mieux pas lui dire un mot d’ailleurs. De rage, il avait mis un tel bordel dans son appart, qu’il aurait vraiment fallu un œil avisé pour assurer que tout cela n’était pas volontaire. Ca en était devenu artistique, l’appartement de Maurice. Il en était devenu difficile de savoir ce qui surprenait le plus, entre la chaise qui tenait par un pied planté dans le plafond, et la télé dans l’évier. Mais, faut-il vous le répéter, les jours passèrent. Et un jour, ils s’arrêtèrent de passer. Et c’est là qu’on reprend le fil. On est le 24 mai 2009, et depuis le jeudi noir, pas une seconde ne s’écoule sans que Maurice ne pense à cette défaite. Pour refaire surface, pour sortir de sa léthargie, Maurice s’était trouvé une activité dans laquelle il se dévouait maintenant corps  et âme :

Le jeu massivement multi-joueur.

Mais comme  son ordinateur avait des performances bien moindres depuis qu’il était logé dans son sèche-linge, Maurice s’était décidé à rejoindre les cybers-café. Le « Ad Nvidiam aeternam» pour être précis. Une des références dans le milieu.

C’est qu’il avait retrouvé tout son entrain le Maurice. Et c’est qu’il avait retrouvé un copain à lui, aussi. Milou Perniquette. Un ancien codétenu tombé pour trafic d’explosifs. Un peu comme les trafics de stupéfiants, mais sauf qu’ici on parlait plus d’étonnant que de stupéfiant. Rapport aux explosions.  Milou [on sait pas si c’est pour ça qu’ils s’aiment bien avec Maurice] c’est pas une flèche. Pour dire vrai, s’il était poli, il s’excuserait d’être aussi con.
C’est quand même le même Milou, le vrai, le seul, qu’a réussi à se faire pincer pour détournement de convoi [un camion] transportant 2,7 tonnes d’élastiques dentaires. Et Milou de même pas chercher à nier que tel était réellement son objectif.
Milou il arrive très bien à faire plusieurs choses en même temps. Mais c’est parce qu’il lui faut tellement de temps pour comprendre qu’il est en train de réaliser un geste, qu’il peut en commencer un tas d’autres. Et puis pour bien comprendre qui est vraiment Milou Perniquette, suffit de demander à ses anciens partenaires de cellules, en établissement pénitentiaire.
Jean-michel Mickaelangelo témoigne : « Milou, je l’ai connu deux ans. Et pendant deux ans, tous les jours, il a voulu nous prouver que c’était possible de courir plus vite que son ombre » Bref, Milou, c’est Milou. Et c’est surtout un ami de Maurice.

Enfin ami, ami, vite dit. Parce qu’en ce 24 mai, il allait se passer un drôle de truc.

Il est 20h34. Milou et Maurice se rencontrent sur leur terrain de jeu virtuel. Ils se connaissent, ils s’apprécient, alors aucune raison de se battre. Aucune.

Quoique.

Bon disons une.

Le personnage de Milou, il semblerait qu’il s’appelle « Père Joufflu ». Y’en a peut-être plusieurs, c’est peut-être pas le même, c’est un malheureux quiproquo… pourrait on penser.

On pourrait.

Mais de toute façon on saura pas la fin. Parce que Maurice lui, il s’est levé. Il s’est approché de Milou. Et autant vous dire qu’il a violemment considéré que c’était pas un hasard.


milou.jpg 
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